Il y a un mur entre Arte et Etta.
Un mur de jalousie qu'Artemisia a construit de ses mains, brique par brique depuis la naissance de sa petite sœur. Artemisia était la fille, la petite dernière, elle était chouchoutée, adorée presque, gâtée sans aucun doute. Puis Solvej est née et Artemisia n'était plus la fille, la petite dernière, n'était plus chouchoutée comme avant.
La jalousie lui dévore le cœur, sa voix perfide lui rappelle qu'Etta a volé sa place. Etta, que leur mère couvre d'attentions, que leurs frères protègent comme une maman loup, que leur père préfère de façon tellement évidente, alors qu'à côté Arte crève s'obtenir tout ça.
Alors elle se réjouit mesquinement quand elle voit Etta avoir des difficultés, échouer, ne pas être aussi parfaite que les autres semblent le voir.
Arte sait pourquoi bien sûr. Elle sait aussi que c'est temporaire, qu'un jour il n'y aura plus de quoi se réjouir. Etta est à ses yeux un peu comme une bombe à retardement, sa famille est une bombe à retardement programmée sur Etta, et un jour tout le monde fera boum.
Pourtant Arte aime Etta. Elle est sa petite sœur à elle aussi. Et puis ce n’est pas vraiment de sa faute à elle, tout ça. Etta est innocente. C’est Arte qui est difficile à aimer. C’est leur famille qui gère mal les relations.
Un jour, sans doute, le mur va s'effondrer. Reste à savoir sur qui tomberont les briques.

De sa fratrie, Ven est celui qu’Arte préfère.
Celui qu’elle aime le plus. C’est injuste, mais c’est comme ça. Pourtant dans une famille, l’amour est censé être égalitaire non ? Aucun parent ne doit aimer un enfant plus d’un autre. Aucun enfant ne doit aimer un parent plus que l’autre. Aucun enfant ne doit préférer un frère ou une sœur aux autres.
Arte si. Et elle ne se sent même pas coupable ou honteuse de se sentir plus à l’aise avec Ven qu’avec Etta ou Abel. Pas quand elle n’est pas la seule de la famille à faire du favoritisme.
Il n’y a pas de mur entre Arte et Ven, ou s’il y en a un il est facile de passer par-dessus. Elle peut sourire pour de vrai avec lui, s’amuser sincèrement, comme avant que sa vie se foute en l’air. Elle ne se sent pas juger d’une quelconque manière.
Arte sait que Ven n’est pas déçu d’elle, quand elle rentre à l’improviste chez lui avec les yeux rouges et des larmes noires à cause du maquillage. Qu’il ne va pas la traiter d’idiote d’être encore tombée amoureuse et d’avoir encore eut le cœur brisé, aussi facilement. Pas de reproche, pas de colère.
Avec Ven, Arte peut cesser de faire semblant et d’avoir des secrets. Sauf un, trop lourd, qui pourrit au fond de son cœur.

Il y a un mur entre Arte et Abel.
Pas du tout le même mur qu’il y a entre Arte et Etta et qui est en briques dures, très haut et très épais, qui ne permettait ni de se voir, ni de s’entendre. Ce mur-là ressemble plutôt à une vitre blindée. Arte peut voir Abel de l’autre côté, mais ses mots sont assourdis jusqu’à en devenir muets.
Peut-être à cause de l’écart d’âge, peut-être à cause d’Etta, Arte ne se souvient pas d’avoir été très proche d’Abel. D’abord il y a eut Freyas Evige bien sûr. Mais pas uniquement.
Abel est estampillé fierté de la famille. Arte est estampillée mouton noir. Et au-delà de ça encore, il y a une incompréhension et de la gêne. Ils ne savent pas comment communiquer.
C’est bien pour ça que le mur ressemble tant à une vitre. Arte et Abel se voient, se croisent, échangent quelques mots, des banalités. Mais ils ne se comprennent pas. Arte n’ose pas s’approcher de cette espèce de grand frère parfait, l’enfant rêvé par leur père. Pas quand Abel est ce qu’elle aspire à être mais se sent incapable de devenir.
Et peut-être qu’Arte se sent inférieur et n’aime pas ça. Et peut-être qu’elle lui en veut de préférer Etta Et sans doute qu’à chaque fois qu’ils sont seuls ensembles, les mots qu’elle veut lui dire se bloquent.

Johannes n’est pas un ami d’Arte. C’est un ami de Ven.
Mais Arte le voit souvent, parce que c’est dans son établissement qu’elle va noyer son cœur, dans l’alcool ou le chocolat viennois, après une rupture ou n’importe quel coup dur. C’est à Jo qu’elle raconte sa peine, auprès de lui qu’elle crache son venin et casse du sucre.
Et Jo l’écoute. Ou du moins, il en donne l’impression.
Au début, Arte croyait vraiment qu’il le faisait. Et elle a faillit tomber amoureuse, comme souvent. Comme une idiote. Mais quelque chose l’a retenu juste à temps. Peut-être une impression. Ou peut-être Ven, plus probablement.
Jo fait semblant, comme Arte, mais pas tout à fait pareil. Il s’en fout bien, de la vie des autres. De la sienne y comprit. Arte l’a bien comprit.
C’est pour ça qu’elle n’a pas de scrupule, quand elle est au plus bas, d’aller au café même quand il est fermé, ou sur le point de fermer, ou de passer de l’autre côté du comptoir sans autorisation pour réclamer du réconfort, ou de salir de façon irrémédiable ses vêtements avec son maquillage humide.
Parce que de l’attention et de la tendresse, même factice, même sarcastique, c’est ce dont Arte a besoin lors de ses naufrages émotionnels.

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