Elle se réveille en sursaut, la sueur perlant sur son front et le coeur battant la chamade. Aussitôt, ses yeux se glissent vers sa fenêtre ; la lune n'est pas pleine. Un sentiment de soulagement s'empare d'elle bien que la terreur comprime encore sa poitrine. Elle attrape la vieille montre de son père et en consulte le cadran ; les tics tacs réguliers l'apaise à peine, et l'heure affichée la fait soupirer.

Trop tôt pour espérer aller se balader hors de l'école.
La blanche soupire et quitte son lit, tâchant de ne faire aucun bruit en sortant de la chambre.

Elle est habituée au froid et ne cherche même pas à prendre de quoi se couvrir. Ses pas la guident à travers les couloirs ; elle s'arrête parfois pour regarder dehors. Comme pour s'assurer que la lune ne lui ait pas joué un mauvais tour. Antanasia se surprend même à rester la plus silencieuse possible ; comment pourrait-elle expliquer sa présence dans les couloirs à cette heure aussi tardive à la veille des vacances ?

Elle atterrit finalement devant la salle commune dont la porte est légèrement entrouverte. La roumaine hausse un sourcil, surprise ; cette grande porte n'est ouverte qu'en journée. Le reste du temps, elle est fermée. Sa curiosité piquée, elle décide de glisser la tête dans l'entrebâillement. Elle y aperçoit alors une silhouette.

Une autre âme pour qui le sommeil a décidé d'être absent.

Antanasia pousse doucement la porte et s'approche ; elle ne fait pas particulièrement de bruit mais n'est pas non plus complètement silencieuse. Histoire de ne pas effrayer ce camarade sorcier. Ou devrait-elle dire sorcière. A la faible lumière de la lune, la personne possède de longs cheveux. Plus longs que les siens. Un petit sourire ourle les lèvres de la roumaine ; elle est heureuse de trouver une autre élève qu'elle à cette heure-ci.

« Salut. Toi aussi tu trouves pas le sommeil ? »

Elle prend appui contre une table, joignant ses deux mains ensemble, entrelaçant ses doigts. Son regard reste rivé sur sa camarade d'infortune nocturne.

« C'est un peu rassurant de voir une autre fille, aha... J'ai fait un cauchemar, et toi ? »

A la base, il avait simplement veillé tard. Comme d’habitude. Trop tard. Comme d’habitude. Mais il était impossible de le refaire à présent, Thomas était ainsi et plus jamais ne changerait. Ou alors, pas sans un bon coup de casserole sur la tête – petite dédicace à maman.
Il avait loupé l’heure du dîner, à être trop concentré dans son atelier-tableau, à plancher sur son arc, encore. Ses flèches prenaient en consistances, mais ce n’était toujours pas assez. Elles s’effritaient après quatre secondes, ce qui était trop tôt. Thomas prenait toujours le parti de penser avec une cible à longue portée. Il devait donc s’améliorer, encore. Et travailler sur le mécanisme autant qu’il le faudrait.

Seulement, à force de travailler de trop, il fatiguait. Paradoxalement, lorsqu’il se rendit compte qu’il ne pouvait plus qu’aller rejoindre son lit, il ne parvint pas à y trouver le sommeil. Comme une étrange malédiction, à être trop épuisé, Morphée avait alors décidé de le fuir. Thomas avait tourné encore et encore dans ses draps pendant au bas mot une heure et demie. Puis, lassé de ne parvenir à s’endormir, il s’était relevé et, avec la discrétion qui lui était connue, commença à faire sa valise. Il partait le lendemain matin, après tout. Les vacances en famille lui feraient sans doute du bien.

Ses bagages fins prêts, il n’était pas plus gagné par la fatigue pour autant. Alors, en désespoir de cause, Thomas parti marcher un peu dans les grands couloirs de l’établissement. Il savait qu’il n’était normalement pas autorisé à être ici à cette heure tardive, mais il avait besoin de se dégourdir les jambes. Si sanctions il devait y avoir, alors il en assumerait l’entière conséquence.

Il échoua bien vite dans la salle commune à l’ensemble des élèves, essayant de trouver une occupation en dépit de la carence dont il était la victime. Finalement, assis là à une table, il choisit de diriger son regard vers l’extérieur. La Lune n’était pas pleine. Son stress restait donc encore calme. Aplani.

Sa longue chevelure lui descendant dans le dos et lui revenant un peu dans les yeux, il s’en accommoda cependant. Il n’avait pas vraiment l’habitude mais il n’avait rien sur lui pour lui permettre d’attacher tout ça ensemble. Tant pis.

C’est lors d’une de ses réflexions que sa concentration fut brusquement brisée par l’émergence d’une nouvelle voix, toute proche de lui. Déviant donc son regard, Thomas aperçu la silhouette d’une jeune femme qu’il connaissait plus ou moins. De visu, plutôt. « Ah, bonsoir… Désolé de la fausse joie. » Se faire entendre dire qu’il ressemblait à une fille, même de dos, n’était pas pour lui plaire. « Tu es… Anastasia, c’est ça ? » Si ses souvenirs étaient bon, c’était là son nom.

Elle se retourne. Et Antanasia se fige. Parce qu'elle n'est pas elle, mais elle est lui. Thomas.
Elle sent la chaleur lui brûler les joues alors que sa mâchoire semble soudain trop lourde pour maintenir sa bouche fermée. Qu'est-ce qu'elle n'a pas fait là, grand dieu ? Le coeur à cent à l'heure, la honte peinte sur son visage, Antanasia voudrait disparaître.
Elle le pourrait ; elle est autorisée à transplaner désormais. Mais elle a complètement perdu ses moyens.

« Ah, bonsoir… Désolé de la fausse joie. »
« N-non, je... »

Et voilà, bien joué Anty.

« Tu es… Anastasia, c’est ça ? »

Et bim. Bien fait.
Antanasia secoue doucement la tête, un maigre sourire aux lèvres ; oh elle a l'habitude que l'on fasse l'amalgame sur son prénom. Ce n'est pas chose rare, et ça la poursuivrait certainement toute sa vie. Mais le fait étant que ça sorte de la bouche de Thomas, ça lui serre le coeur.

Mais qu'est-ce qu'elle pouvait espérer ? Après tout, si elle le connaît plutôt bien pour l'avoir épié durant toutes ces années, elle n'a fait que sa rencontre officielle que depuis peu. Grâce, ou à cause, de l'autre fanfaron chez les Thor. Leur cadet mais, par tous les dieux, quelle plaie !

« Antanasia, en réalité. » Elle tend les mains devant elle en les agitant doucement, comme pour parer à d'éventuelles excuses. « M-mais ce n'est pas grave, aha. C'est ma punition pour t'avoir pris pour une fille. Désolée pour ça. »

Le problème avec Thomas, c'est que la Baldr ne sait pas quand sa nervosité la fait trop ou pas assez parler. Et, vu l'atmosphère de gêne qui règne autour d'elle, la roumaine risque d'être bien bavarde. Elle se racle d'ailleurs la gorge, glissant une mèche de ses cheveux derrière son oreille.

« M-mais dis-moi, comment ça se fait que tu sois là ? Tu rentres chez toi pendant les vacances non ? Tu risques d'être épuisé si tu ne dors pas. »

Elle détache son regard de lui avant que le peu de clarté ne dévoile ses joues rosies. C'est même étonnant que, vu la taille de la pièce -immense- on entende pas les battements de son coeur faire des échos en se répercutant sur la pierre.

« A moins que tu ne transplanes aha. Je suis indiscrète, désolée. »

Arrête de t'excuser, Anty.

Aoutch.
Bon eh bien puisque les deux individus sorciers étaient apparemment sur un pied d’égalité en matière d’erreur relative à des détails sur l’autre – Antanasia sur le genre de Thomas et Thomas sur le nom réel d’Antanasia -, les choses ne pouvaient que s’adoucir et s’améliorer, non ? Ahah, c’était encore à voir, ça.

« Ah... Excuses-moi. J’ai du mal à retenir les noms des gens que je ne fréquente pas souvent, en fait… » Il ne voulait pas vexer qui que ce soit en disant cela - après tout il avait appelé Ezra correctement au bout de plusieurs mois - mais se rendit compte un peu trop tard que, mal interpréter, ce genre de mots pouvaient avoir un impact non voulu. Mais priant pour que cela n’arrive pas, il décida de ne pas se focaliser là-dessus et reprit le court de la conversation.

« Tu es plutôt bavarde, j’aurais jamais cru, ahah. » Il essayait d’être sympa – Ezra lui reprochant de ne pas l’être assez – mais il restait maladroit et mal assuré dans ses propos. La sociabilité, ce n’était définitivement pas pour lui. Il avait cessé d’avoir les bases des années en arrière maintenant. Etait-ce trop tard ? Peut-être. Mais là encore, ce n’était pas le soir pour se perdre ainsi.

« Pour te répondre, ma mère aime bien venir me chercher à l’aéroport avec la famille de mon beau-père. C’est leur petit plaisir, en quelque sorte. Et puis j’avoue qu’au moins, comme ça, je pourrais dormir dans l’avion. » C’était bien les seuls avantages qu’il trouvait, pour être tout à fait honnête. Mais bon, le sourire de sa mère valait tout l’or du monde. « Et toi ? Adepte du transplanage, donc ? » C’était un moyen comme un autre de faire la conversation.

« Ah... Excuse-moi. J’ai du mal à retenir les noms des gens que je ne fréquente pas souvent, en fait… »

Un sourire amer étire les lèvres de la roumaine tandis que son regard se détache de Thomas ; il n'a pas tort après tout. Elle non plus, elle ne retient pas forcément les prénoms de toutes les personnes qui lui ont un jour adressé la parole. Mais ça fait toujours un peu mal comme aveu. Surtout venant de la personne pour qui on ressent un peu plus qu'une simple admiration.

« Tu es plutôt bavarde, j’aurais jamais cru, ahah. »

Et bim. Dans les dents.
Homerun, comme on dit.

Antanasia rougit légèrement, un peu honteuse ; elle sait que son aîné n'est pas du genre bavard et aspire plus au calme qu'à autre chose. Et en y pensant, c'est déjà beau qu'il arrive à supporter un énergumène comme Ezra. Mais passons. Trop bavarde à son goût certainement, le message est passé.

« Pour te répondre, ma mère aime bien venir me chercher à l’aéroport avec la famille de mon beau-père. C’est leur petit plaisir, en quelque sorte. Et puis j’avoue qu’au moins, comme ça, je pourrais dormir dans l’avion. »

La Baldr relève doucement la tête pour l'observer parler. La lueur dans son regard, le timbre de sa voix, tout indique qu'il aime sa famille, qu'il la chérit. Un sourire ourle les lèvres de la blanche qui repose son attention sur ses mains ; sa nervosité s'estompe très lentement mais, au moins, elle ne se triture pas les doigts. Ils sont simplement joints entre eux.

« J'imagine que ce doit être agréable, oui. »

Les retrouvailles avec son oncle et sa petite sœur sont plus rares puisqu'Antanasia préfère ne pas quitter les murs de l'école. Par mesure de sécurité. Elle sait qu'à Freyas Evige, elle n'est un danger pour personne, ou presque. Les professeurs et autres créatures seront toujours là pour la stopper en cas de crise lycanthrope.

Mais elle l'envie. D'avoir encore une famille pour l'accueillir, pour l'aimer.
Elle donnerait n'importe quoi pour retrouver cette chaleur.

« Et toi ? Adepte du transplanage, donc ? »
« C'est plus prudent, oui. »

Elle réalise qu'elle était encore un peu perdue dans ses pensées lorsqu'elle a répondu ; elle se redresse, un peu trop rapidement pour paraître naturelle, et affiche un sourire un peu maladroit.

« M-mais je ne sors pas souvent d'ici alors… je ne sais pas vraiment si je peux me considérer comme une adepte de la pratique, aha. »

Elle attrape mécaniquement ses cheveux pour les nouer en un chignon négligé, dévoilant certainement quelques petites cicatrices ici et là. Mais la pénombre actuelle lui épargnera peut-être des questions à ce sujet.

« J'espère qu'Ezra ne s'est pas caché dans tes valises pour partir avec toi. »

Peut-être que parler de leur ami commun, si on peut vraiment appeler ça comme ça, détendra un peu plus Thomas.
Parce que dans le fond, même si elle angoisse, être avec lui la rend heureuse.