Walking across an empty land (lizzie)
je sais pertinemment que c’est stupide. Mais je continue de me raccrocher à ça -ce vain espoir.
Je sais pertinemment que c’est stupide. Dans un coin de mon esprit, il y a mes parents qui me répètent qu’ils m’aiment quoiqu’il advienne, qui se moquent bien de ma réussite et ne souhaitent rien de plus que mon bonheur.
Je sais pertinemment que c’est stupide. Mais
je suis stupide.
Il y a cette image -ces images- de mamie qui passent en boucle dans ma tête, ses sourires ses mots doux comme du velours ; à cette époque où tout allait mal à la maison, où elle me berçait en disant que tout serait bientôt fini, que papa et maman s’aimaient toujours et ce à jamais
(elle avait raison).
Mamie et ses boucles de cristal, ses volutes de fumées, ses cartes et ses trophées. Mamie et ses souvenirs, ses histoires,
ses espoirs. Mamie et une fierté qui en faisait une reine de solitude, elle qui voyait si bien le monde -trop bien, même- dans ses sphères, elle qui comprenait trop bien les enjeux, elle qui avait vu des horreurs qu’elle taisait (vu la guerre de ses propres yeux). Elle était celle avec cet héritage qui la rendait unique, cet héritage que l’on dessinait comme fierté de la famille Beauffort -et à présent, c’est moi qui suis seule.
Seule avec ce don qui aurait dû me faire briller (briller de solitude), mais qui ne serait jamais à la hauteur (comme moi), qui ne remplirait jamais ses espérances.
Et à chaque échec je retenais des larmes, tentais vainement d’ignorer mes plaies, murmurais des « désolée ».
désolée grand-mère, j’ai échoué.Encore.
Parfois, je me noyais tellement dans ma propre déception que je ne voyais pas que mes proches s’en moquaient. Que tout ce qu’ils voulaient, eux, c’était
mon bien-être (mais en oubliaient que je restais une gamine, me demandaient d’être adulte). Parfois, je me noyais tellement dans ma propre déception que j’en oubliais tout le reste, trop occupée par ma colère envers moi-même, à me morfondre sur mon incompétence. Dans ces moments-là, je ne voulais que personne me voit -je n’aurais pas même supporté mon propre reflet ; dans ces moments-là, j’avais besoin d’être
seule.
En général, je choisissais les dortoirs ; mais aujourd’hui, je n’y étais pas seule. Alors j’avais cherché un autre endroit pour m’entraîner (pleurer mon saoul) ; et je ne sais pour quelle raison, la forêt m’a semblée être une bonne idée.
J’avais peut-être envie de me perdre.
Parce que c’est ce qui est arrivé.
Je connaissais pas les ruines ; en fait, je me rends bien compte que je ne connais pas grand-chose des lieux. Je suis là depuis un an, et pourtant, je ne connais pas encore par cœurs tous les recoins de l’école, pour commencer ; je découvre petit à petit la ville voisine et je ne connais pas grand-chose de sa partie moldue (en fait, je m’y suis perdue à chaque fois que j’ai essayé de m’y aventurer).
Ah oui, j’oubliais ce détail. J’ai un sens de l’orientation discutable. Pourquoi la forêt déjà ?
Après la tristesse, la colère et la déception, c’est la panique qui me broie la gorge. Je ne sais pas où je suis, où je vais, les arbres montent si haut que je vois tout juste le ciel et j’ignore totalement si je m’enfonce dans la forêt ou si je m’approche (enfin) de l’école. Je commence à m’imaginer passer le restant de mes jours coincée à vivre en sauvage en tête-à-tête avec (mon incompétence) ma boule de cristal, ou peut-être dévorée par des loups-garous. J’ai légèrement le tournis -je crois que je respire
trop- et je commence à voir flou à force de retenir mes sanglots ; alors je finis par me poser dans un coin, essayer de garder mon calme (et décide de plus jamais tenter le diable, autant rester dans le château la prochaine fois). Je ne crois pas aller vraiment bien mais quand j’arrive enfin à redevenir à peu près calme, je repars en quête de mon chemin (j’essaie d’être optimiste) ; et puis subitement
Juste une pensée sauvage, sporadique
Une de ces interrogations innocentes et un peu bêtes, de celles qu’on se pose fréquemment sans aucune raison, même dans les moments les plus insolites
Il y avait quoi ici avant ?Et la curiosité
Monstrueuse
Galopante
Elle me dévore subitement, grignote ma panique (ma prudence), fais tomber ma conscience
J’en oublie un moment mon objectif, m’approche et contemple, observe les ruines et essaie de les reconstruire mentalement. Il y avait quoi ici, avant ? est-ce que des gens ont vécu en ces lieux ? était-ce autre chose qu’un foyer ? à quoi ça ressemblait ?
Il y avait quoi ici, avant ? des gens le savent-ils, s’en souviennent-ils ? j’aimerais rebâtir les lieux d’un coup de baguette (j’aimerais tellement voyager dans le temps), voir la courbure des bâtiments, à quoi ressemblait le sol, le plafond ? quelles histoires se sont gravées dans ces murs ravagés par les années ? qu’ont vu les lieux ?
Il y avait quoi ici, avant ?
(légèrement obsédée par ma curiosité dévorante, en oubliant le présent pour ne plus vouloir que visiter le passé ; j’en occulte la réalité)
«
Derrière moi ? »
Sursaute ; je ne m’attendais pas à entendre un timbre humain -la panique, un instant, se ressaisit de moi. Je me tourne légèrement pour faire pleinement face à la voix ; je ne connais pas la silhouette qui m’observe, un oisillon posé sur son doigt. C’est pas vraiment normal, ça. Elle a l’air délicate, fragile et particulièrement jolie (irréelle), aussi je ne comprends pas bien ce qu’elle fait là, si paisible. Est-elle un esprit de la forêt ? «
Salut, moi c’est Lizzie ! Et toi ? C’est rare de voir des humains ici. » des humains ? ça ne répond pas vraiment à ma question ; est-ce qu’elle l’est, humaine ? ce serait rigolo, qu’elle ne le soit pas. Ça me rassurerait absolument pas, ne nous mentons pas, mais…
J’ai terriblement envie de parler à un esprit de la forêt, d’un coup…
«
Je- Candide. Je m’appelle… Candide. » mes joues rosissent de mon embarras. «
désolée, je ne voulais pas… euh, déranger. Je me suis perdue. » elle, a contrario, n’a pas l’air égarée (ou de ces excentriques qui ne réagissent jamais à la pression, et pour qui se perdre n’est qu’une énième aventure). Elle devrait pouvoir m’aider, pas vrai ? je l’espère… mais les mots ne me viennent pas
Pas les bons.
«
Qu’y avait-il ici ? »
(ma curiosité, un jour, me perdra… plus encore que je ne le suis là maintenant tout de suite.)