« Je ne suis pas chrétien mais de tout je me souviens »
— (x) de la naissance à ses onze ans. « J’entends battre son coeur. Doucement, doucement. » il est né sans éclaboussure. « Prions Dieu. » Sois le bienvenu enfant de Dieu. La natation s’impose assez rapidement dans son quotidien : aussi étrange que cela puisse paraître, il n’y a que dans l’eau qu’il se sent « propre » et qu’il prend plaisir à s’exercer — la logique voudrait que cet environnement emplit de germes en tout genre le rebute, mais pas du tout. Sa grand-mère paternelle décède alors qu’il a quatre ans : c’est le premier face-à-face avec la Mort. « Seul Dieu peut nous juger » qu’elle disait.

Il s’éprend de la musique classique.

À sept ans, sa vie sociale n’est pas folichonne compte tenu des pratiques religieuses assez singulières de ses parents et de sa mysophobie, mais il l’aime comme ça, sa vie, pour le moment : « malade » depuis peu et trimbalé à droite et à gauche, sa mère décide de lui faire cours à la maison, en plus des enseignements chrétiens. À dix ans, ce lien qui le lie à elle commence à s’effriter lentement mais sûrement : il se sent étouffé.

Pourquoi ce chemin de croix ?

((On est souvent seul avec soi-même.))

— (x) douze ans. Le voici le tout premier rejet, celui qui va résonner dans sa caboche jusqu’à la fin : la lettre pour Freyas. Une école. On lui dit alors que c’est une farce des plus mauvais goûts, que la sorcellerie ça n’existe pas, que de toute façon il n’irait nulle part. Qui croirait à cette histoire de magie dans leur entourage ? quels fidèles leur accorderaient encore de l’intérêt s’ils venaient à apprendre que l’un des jumeaux a des liens directs avec l’occulte ? pourquoi lui et pas un autre ? pourquoi lui et pas Erik ? Pourquoi ? C’est tellement mal le connaître. Se révéler être un sorcier quand on est issu d’une famille constituée de fidèles chrétiens (pratiquants) n’est pas forcément le plus reposant des faits : il devrait lui aussi être choqué, pourtant il n’en est rien ; il est même excité à l’idée de ne pas être un monsieur Tout-le-Monde — quitte à être le Diable en personne.

Comment il a réussi à finalement intégrer Freyas ? Il ne vous le dira jamais. Mais toujours est-il qu’il ne rentrera jamais chez ses parents pendant les vacances scolaires et se forgera un personnage : dès son arrivée, il prétend — à qui le lui demande — qu’ils sont décédés alors qu’il avait cinq ans à peine. Ses habitudes religieuses, il parvient étrangement bien vite à les effacer de sa vie.

Il est envoyé dans la maison des érudits de Loki.

Être « normal » pour être « bien », est-ce que c’est vraiment nécessaire ?
Pour autant, il appréhende son retour à la vie sociale, retiré assez tôt des structures scolaires. À partir de là, il ne se considère plus comme chrétien.

Sans grande surprise, l’adaptation n’est pas immédiate.

Et puis arrivent les complications liées à son sang.

De tout temps et en tous lieux, les nés-Moldus ne sont pas souvent les bienvenus : ce n’est pas un secret de polichinelle, tout le monde le sait maintenant — et force est de constater que certains professeurs n’ont visiblement jamais entendu parler d’« impartialité » dans ce monde étrange. « Qu’allons-nous bien faire de toi ? » de la violence dans des paroles dictées par un enseignant quasi-grabataire : c’est dès la première année à Freyas qu’il fait face à l’intolérance du monde magique ; autant du côté des adultes que de celui des bambins. Deux années à se rebeller pour prouver ce qu’il vaut vraiment — entre autres. « Tu n’es qu’un fumiste. ».

Il a un déclic en troisième année et décide de s’investir comme jamais dans ses études ; un tournant inattendu. C’est un garçon plein de mystères.

Se découvrant doué, il ne fait pas que de bonnes choses.

((Bijoux, bisous et tout le tralala, mots doux et coups bas.))

— (x) seize ans. Énième coup de cœur ; énième amourette. Une Vélane aux cheveux aussi blonds que les blés et aux iris couleur océan. C’est cette même année qu’il est nommé préfet et qu’il apprend combien il est allergique aux piqûres de Billywig.

Il voit son frère en cachette, loin des regards indiscrets. Plusieurs fois.

Passons quelques années sous silence voulez-vous.

((Je l’aime à mort, je l’ai ma mort.))

— (x) vingt-cinq ans. Il n’y a que le curieux mélange de leur cœur rendus fous : c’est la bonne cette fois-ci et il le sait. Elle est belle, drôle, studieuse, affectueuse, indépendante et douce. Plus rien ne compte depuis la rencontre. Son prénom ? Else. Délicieuse sorcière brune qu’il compare volontiers à un ange tombé du ciel et qui n’a que trois ans de plus que lui. « Je t’aime. » c’est le coeur qui avoue. Et puis, elle a cette pointe d’ambition qui l’attire tant : son plus grand rêve est de percer dans le milieu littéraire. Quoi de plus beau qu’une femme qui sait où elle va ? Parallèlement, il obtient un poste en tant que professeur de Sortilège après un an de stage.

Il se marie avec la belle Else à vingt-huit ans. Ce qu’il ne sait cependant pas encore, c’est que loin d’être sa renaissance, elle est en fait son auto-destruction.

((Parcourir l’étoile et à chaque seconde partager l’ombre.))

— (x) trente-et-un ans. Le fait de se présenter à ce poste sonne comme une évidence pour le brun : visiblement plus que doué — d’après les dires de la majorité de ses anciens enseignants — pour la magie, le trentenaire voit ses efforts récompensés et obtient le poste non sans batailler. Il faut comprendre que — bien que les tensions soient un peu retombées à ce sujet depuis une certaine bataille — mettre un sorcier d’ascendance moldue à la tête d’un tel établissement fait grincer des dents et en gêne plus d’un : il est (à ce jour) le plus jeune dirigeant de Freyas.

On l’a souvent mis plus bas que terre.
On lui a souvent dit de rester à sa place.
Comme quoi, la roue tourne.

((Restent nos souvenirs d’hier et pour ce jour nos prières.))

— (x) trente-quatre ans.

La chambre mortuaire. L’identification du corps, quoi de plus traumatisant ? Le parfum de la mort. La dépouille est d’un rose bleuté, tiraillée de part et d’autre, mutilée au possible. Vision d’horreur. Devant ses géniteurs, Lennart fait ce qu’il peut pour garder fière allure, mais en vérité intérieurement il n’en mène pas large.

Le réveil est brutal et les nuits sont baignées de larmes.
L’odeur de la mort lui donne d’insupportables haut-le-cœur.
Il n’arrive pas à s’en débarrasser ; elle lui prend toujours le nez.

Il est mal Lennart : la perte d’un frère — de l’unique, du jumeau — suffit cette fois-ci à le faire plier tel un roseau. Tous les pétales de sa vie viennent de se faner aujourd’hui. Il s’alcoolise. Un événement parmi tant d’autres qui peut arriver à tout un chacun, mais pourtant il ne veut pas y croire. Alors il fume. Erik. Il n’arrive pas à réaliser. Il fume. Il pleure. Il tape du poing. « Erik... » il l’appelle. Il a besoin de lui. Le son de sa voix ; il donnerait tout ce qu’il a de plus cher pour l’entendre une dernière fois. Il veut revoir son sourire. Les souvenirs ne cessent de le hanter, de jour comme de nuit. Un zombie, ni plus ni moins. Il fume encore plus. Il est totalement déphasé. Il a la tête qui tourne, Lennart. « Erik... » il a mal. Il fume. Il fait des choses qu’il ne comprend pas.

Les pompes funèbres. Le travail du  thanatopracteur n’a pas son pareil : il pense qu’Erik va se relever et lui parler, mais malheureusement, ce dernier ne bouge pas d’un poil. Alors ce n’est pas qu’un cauchemar.

Il parvient à se rendre à Freyas deux jours durant mais finit par ne plus réussir à sortir de chez lui après l’enterrement — c’est d’ailleurs la première fois qu’il revoit ses parents après quinze ans : personne n’a de ses nouvelles, ni par téléphone ni par hibou. Et puis il y a le point de rupture, l’impardonnable. Else est absente pour cause professionnelle, et ce n’est que six jours plus tard qu’elle reparaît, le trouvant dans le plus pitoyable des états : assit dans le noir, visage inexpressif, quasi sans vie, liquide vermeil sur ses doigts si délicats. Khris Lehrman  — que Else connaît assez pour ne pas le supporter mais qu'elle sait (aussi) être le meilleur ami de son mari — est informé de l’hospitalisation critique. Il faudra attendre cinq jours pour que Khris entende enfin sa voix au téléphone. Anesthésie affective totale. « Je ne veux plus vivre, Khris... » il sait que lui le comprend ; il sait par où il est passé avec Karen.

Deux mois et trois semaines. C’est très exactement le temps qu’il lui faut pour réussir à remonter la pente et retrouver un semblant de vie ordinaire.

Et puis il n’a plus jamais pleuré : après tout un homme ça ne pleure pas, surtout à son âge.

((Elle va te larguer comme elles le font à chaque fois.))
« Je crois que je ne t’aime plus. » comme un coup de revolver.

— (x) trente-quatre ans et dix mois. Le (dé)plaisir de rentrer dans cette belle et chaude demeure (supposément familiale) pour le week-end. « C’est fini. » aucune protestation, aucune larme. Rien. Rien ne s’interpose. Juste ce silence qui trahit bien des reproches. « Pourquoi tu ne dis rien ? » c’est dans l’ordre logique des choses, pauvre sotte : il se fout de ses angoisses, elles le lassent. « Else— » alors c’est ça le temps qui passe ? c’est ça le dernier recours ? « A toi de remplir les documents posés sur la table. Moi j’ai déjà fait ma part du travail. » des vœux trop vite prononcés et sept années — loin d’être totalement paisibles — parties en fumée. On ne balaie pas sept ans de relation d’un simple geste de la main — ou presque.

« Il faut croire que je suis le coupable à condamner. »
Mais la vie, c’est ça aussi.

((Il dit que « travailler c’est bien », bien mieux qu’être mal accompagné.))
Où en est-on de ces pulsions de mort ?

— (x) trente-cinq ans et demi. Le temps des lettres d’amour jetées au feu ; le temps de la purge intérieure. Un joli presque-célibat qu’il ne quitterait pour rien au monde. Pourtant, quoiqu’il puisse affirmer en prétendant être le même, la mort de Erik a marqué un tournant certain dans sa vie : il a changé et pas nécessairement en bien. Il est devenu plus taciturne, plus abrupt, moins solaire, plus discret, parfois même plus effacé. C’est un directeur et professeur (visiblement) à l’écoute mais qui ne se mêle (apparemment) que très rarement des problèmes personnels des autres — tous âges confondus —, jugeant qu’il a bien assez traversé d’épreuves comme ça pour l’instant. Récemment mis à la rue par sa femme, il demeure principalement à Freyas et ne s’en porte que « mieux », s’enfonçant un peu plus chaque jour tête baissée dans l’exercice de ses fonctions et les insomnies.

On n’oublie pas, on vit avec ; nuance.
Il fume.

« When I’m standing near you, I can’t get my words out like I fear you »