Tu connaissais les consignes par cœur, à force de les avoir lues et relues. Et pour être honnête, tu avais déjà une très bonne idée de ce que contiendrait ton devoir ; tu avais juste eu envie de faire de l’excès de zèle, voilà tout. Tu étais un poil ambitieuse, sans vraiment le souligner ; c’était de famille, il n’y avait pas tellement de quoi y prêter attention. Ton perfectionnisme également, c’était dans le sang.
D’ailleurs, même si ce n’eût pas été le cas, tu aurais été contrainte de tout donner à chacun de tes devoirs, et ce dans tous les cas. Tu étais la petite dernière, ton nom te précédait ; après Abel et Venzel, tu n’aurais jamais osé te contenter du strict minimum, te laisser aller. Tu avais un devoir d’excellence en quelque sorte -et puis, tu voulais à tout prix satisfaire vos parents, également. Cela te faisait toujours tellement plaisir de les voir rayonnant en t’évoquant ! Tu étais leur petite princesse sage et conciliante
leur petite merveille enfermée dans ce rôle.
Tu ne t’y débattais pas, après. Tu admirais secrètement Venzel pour ça ; Artemisia aussi, un peu, également. Comme Abel ces derniers temps… Tous avaient, à un moment ou un autre, haussé la voix contre les exigences de votre lignée. Pas toi. Tu te confortais, quelque part, dans l’idée que tu n’avais que seize ans, tu n’étais rien de plus qu’une enfant (une enfant docile). Et puis ? Tu n’étais pas encore prête à faire entendre ta pensée -elle n’était même pas affirmée, pas formée, ta pensée. C’était un amas informe d’envies et de songes égoïstes que tu ne pouvais t’empêcher de regretter un peu. Tu n’étais pas prête à t’envoler, confortablement installée dans ta cage dorée (ignorant les secrets, ignorant la laisse, ignorant ta faiblesse engendrée). Non, tu n’étais pas prête pour tout ça ; tu étais encore une enfant, quelque part. (On ne voulait pas te laisser grandir, également)
Tu étais encore plongée dans tes pensées -des envies difficilement avouables- quand tu pénétras dans la bibliothèque. L’odeur des bouquins avait le don de te bercer et ta concentration te revint ; il te faudrait réussir au mieux cet exercice sur la révolution des goblins ! Tu savais où chercher des informations précises, c’était déjà ça. Tu t’approchas d’un pas décidé vers les rayons relatifs au sujet quand ton regard accrocha une tête rose, plus loin, affairée au-dessus d’un énorme grimoire.
Tu l’aurais reconnue de dos, déguisée et dans le noir. (Malheureusement pour elle) tu avais un sixième sens quand il s’agissait de ta fratrie. Comme à l’accoutumée, ton cœur se serra un peu ; tu avais terriblement envie de lui parler, mais pas comme vous le faisiez -tu voulais lui parler pour de vrai, avoir des conversations « de filles », des conversations de sœurs. Ça faisait bien longtemps que tu avais compris que ce rêve était hors de portée, mais cela ne signifiait pas que tu y renoncerais pour autant (tu en étais incapable). Alors tu pris ton courage à deux mains, et t’approchas de ta démarche dansante, comme une routine bien huilée ; tes paroles aussi venaient de lèvres habituées, et tu pouvais imaginer ses regards, ses gestes et ses paroles (mais jamais ses songes) avant même d’être entrée dans son champ de vision.
Tu connaissais cette danse par cœur pour la pratiquer très souvent.
Artemisia ! Tu n’avais pas crié, juste un peu haussé la voix pour qu’elle t’entende ; mais tu n’aurais jamais crié dans une bibliothèque. Et puis, tu ne voulais pas trop la surprendre en t’affalant à sa table sans t’annoncer avant. Parce que oui, tu t’installas sans attendre devant elle (attendre quoi ? qu’elle te rejette ? tu n’allais pas te laisser faire aussi facilement !) Ça va ? Tu travailles sur quoi ?
Evidemment que ta curiosité (une tentative désespérée de faire la conversation) serait tout aussi bien soufflée, mais qu’importe. Tu avais une détermination d’acier.

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On appelait ça l’habitude -l’habitude, l’optimisme et la motivation. Tu étais tout simplement déterminée à un jour bien t’entendre avec elle -à ce qu’elle t’aime. Parce que toi, tu l’aimais toi, ta grande sœur ; aimer sans retour n’était pas bien compliqué, mais il fallait admettre que parfois, ça serrait le cœur, brûlait les yeux et nouait la gorge. Tu savais aimer sans rien demander en échange, et ça s’appliquait à Artemisia ; mais tu étais une gamine capricieuse qui voulait que sa grande sœur l’aime.
Tu ne voulais rien d’autre, rien de plus, que juste ça.
Tu étais incapable de lui donner ce qu’elle voulait : la laisser tranquille (disparaître). Tu t’entêtais, comme aujourd’hui, à lui tenir la jambe et à réclamer son attention, à tendre la main en espérant vainement qu’elle s’en saisirait. Tu lui aurais tout donné, à Artemisia, si seulement elle te l’avait demandé. Mais elle ne te demandait jamais rien -en fait, elle ne te parlait juste pas. Quand vous étiez dans la même pièce, parfois, elle te donnait l’impression de t’effacer de son monde.
En fait, tu aimerais bien savoir pourquoi ; pourquoi Artemisia ne t’aime pas. Est-ce que ça te permettrait d’arranger les choses, si tu savais ?
Est-ce que ça peut s’arranger ?
Tu ne te permettais jamais de douter sur ce point ; tu ne vacillais même pas. Tu y croirais jusqu’au bout -ça pourrait s’arranger. Même si vous ne vous entendez jamais comme tu pouvais t’entendre avec Abel, qu’importe ; tu voulais juste
juste
que ta famille s’aime. Que la guerre froide cesse et que vous vous parliez enfin. Et puis, si tu peux te permettre d’être capricieuse et d’en demander trop (et même si tu ne peux pas te permettre, qu’importe, tu le ferais quand même), tu aimerais que tes proches soient heureux, également. Et ça comporte Artemisia.
Artemisia et son mur de plomb autour d’elle, qui la cachait si bien à ta vue mais dont tu n’ignorais pas une seule seconde le mal-être -pas quand elle faisait l’objet de tant de rumeurs désobligeantes, pas quand son regard semblait blessé, pas quand elle dissimulait maladroitement ses larmes et ses fissures derrière son joli maquillage et ses remarques glaciales à votre père.
Tu n’avais jamais douté la moindre seconde, non plus, de la culpabilité de votre père dans son mal-être. Mais étais-tu capable d’élever la voix ? De demander pardon, ou des explications, ou chercher une explication, une excuse ? Tout le monde ne vivait pas la pression de la même manière ; tu ne savais pas -ne voyait pas- combien la pression la tuait, alors qu’elle ne semblait pas t’affecter le moins du monde.
(poupée d’acier trempé)
Evidemment, ce n’était pas l’entière vérité mais, quoi ? Il était plutôt évident que vous ne viviez pas les choses de la même manière (les mêmes regards).
Ces réflexions, tu te les faisais (un peu trop) souvent. Tu ne comprenais pas bien pourquoi, mais tu voyais bien que ta famille, sur les bords, était dysfonctionnelle. Et toi, tu voulais (naïvement, prétentieusement) soigner les maux. Et plus égoïstement, tu voulais une famille heureuse
une sœur heureuse
(une sœur aimante)
Sortilège.
L’air pénétra brusquement tes poumons et tu te rendis compte que tu avais retenu ta respiration pendant les quelques secondes que mit ton aînée à répondre. Tu étais terriblement soulagée et ravie qu’elle daigne te répondre, déjà sur un petit nuage avec ces quelques quatre syllabes. Ça te rendait toujours particulièrement heureuse qu’Artemisia t’adresse la parole -te réponde. Même quand ses paroles étaient crues, tu t’en ravissais presque. Tu pouvais (presque) ignorer l’acide de ses paroles, parfois. Que fais-tu ici ? Alors quand elle te répondit, évidemment, ton cœur fit un bon dans ta poitrine. Artemisia alimentait la conversation ! Tu fus tout bonnement incapable de retenir l’immense sourire qui naquit sur tes lèvres en l’entendant, le rose te monter aux joues. Tu entendais bien son manque de chaleur et même d’intérêt, entendais bien également qu’elle se contentait de répondre par simple courtoisie. Mais c’était déjà beaucoup pour toi -c’était déjà suffisant pour que tu sois contente. Ça te rendrait presque fébrile. J-je- c’est gob-goblins ! Tellement ravie que tu trébuchais dans tes paroles. Tes joues prirent quelques teintes embarrassées mais tu ne t’en formaliserais guère -pas tout de suite du moins. Tu devais vite rattraper le coup ! J’ai un devoir d’histoire de la magie à rendre… sur la révolution des gobelins. Tu frétillais légèrement sur ton siège, gamine fière d’elle, satisfaite d’avoir enchaîné deux pauvres phrases. Alors euh… sortilèges ? D’après Venzel, t’es supère douée ! Quoi, t’allais pas dire « d’après papa », elle allait mal le prendre (et ce serait même pas vrai). C’était maladroit, comme d’habitude. Tu… enfin, tu vois quoi en ce moment ? Tu luttais de toutes tes forces pour ne pas t’agiter et te mordre la lèvre. Tu étais littéralement sur un fil, petite funambule qui tenait bon de toutes ses forces en espérant ne pas se faire éjecter à la prochaine parole.

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Tu vis bien la réaction de ta sœur -tu étais avide du moindre rictus, du moindre mouvement d’un muscle de son visage. Mais derrière ton filtre d’intense plaisir, tu ne sus l’analyser ; tu ne l’imaginas même pas négative, tu en étais incapable. Tu étais trop haut sur ton petit nuage. Sans doute t’avait-elle trouvée ridicule (tu aurais mille fois préféré à l’indifférence), mais qu’importe. Le fait étant qu’elle ne t’avait pas encore jetée, ne s’était pas encore enfermée à double-tour sur elle-même, n’avait pas supprimé ton existence de son regard. Et c’était à peu près tout ce qui pouvait importer.
Et puis elle amorça son (très) futur rejet (mais tu n’y étais absolument pas disposée) en refermant son grimoire devant elle. Tu préféras analyser la situation à ton avantage : elle ne te refusait pas (juste) un coup d’œil dans son monde, elle était prête à te faire pleinement face. Et comme dit précédemment, c’était toujours mieux que l’indifférence. Ton corps se mût tout seul, sans même que tu t’en rendes compte ; tu t’installas toute droite, comme un piquet, sur ta chaise, les épaules légèrement relevées dans une position de sergent ou de petite fille prise en faute. C’était une posture normale à la maison, si on omettait qu’elle était trop exagérée pour être naturelle (surtout que tu te tenais toujours bien, plus c’était juste bête). C’est pour un projet personnel. O-oh ? Tu clignas des yeux et penchas légèrement la tête, dans une expression de franche surprise. Tu ne te serais jamais attendue à tant d’ouverture ; un « ça ne te concerne en rien » aurait été plus prévisible. Subitement, une avalanche de questions te roulait dessus mais tu préféras te mordre la langue en silence ; il te faudrait être concise et bien choisir tes mots (ce que tu ne savais que très peu faire), si tu voulais que la conversation contienne encore plusieurs répliques.
C’était déjà énorme, là, vous étiez à, quoi… plus de deux minutes de dialogue ? Wow ! Quel exploit !
Tu n’allais pas tout bêtement gâcher.
Les sortilèges avancés liés au temps.
Tu la fixas quelques instants, attendant de voir si elle avait autre chose à ajouter. Quand tu fus certaine qu’elle avait donné son maximum pour cette fois, tu méditas pleinement à ses propos. Les sortilèges avancés liés au temps. Dans ce genre de moment, tu te rendais bien compte de votre différence d’âge ; tu n’avais tout bonnement aucune idée d’à quoi cela pouvait renvoyer, si ce n’est, évidemment, qu’ils avaient trait au temps.
Très bonne déduction Sherlock Holmes.
(Tu avais fini de les relire la semaine précédente. Oui, ça n’avait aucun rapport.)
Tu essayais bien de faire la connexion avec sa précédente affirmation -son projet personnel- mais n’étant pas legilimens et ne connaissant rien à ce domaine précis, tu n’avais aucune idée de ce à quoi elle pensait. Toi qui rêvais d’être animagus, legilimens serait peut-être une meilleure option finalement… (Si seulement tu étais moins limitée ! Tu aurais donné cher pour plus d’adresse) Tu t’agitas un peu sur ton siège avant de rapidement te ressaisir -tu ne faisais pas honneur à ton éducation- et observas le bouquin de ton aînée. Tu aurais bien voulu demander des explications, mais tu craignais trop que ça coupe court à la conversation ; tu te devais d’être stratégique. Chaque avancée était un risque d’être repoussée, il te fallait être prudente -surtout alors qu’elle semblait un petit peu plus disposée qu’à l’accoutumée à t’offrir son attention. Pour combien de temps, tu n’en savais rien. Ça te plaît ? C’était logique, évidemment, puisque c’était son projet personnel. Mais tu te rendais bien compte, également, que c’est tout ce qui avait de l’importance à tes yeux.
De savoir si ce qu’elle faisait lui plaisait.
De savoir si elle avait trouvé une voie, une sortie qui la rendrait heureuse.
Ton projet personnel, les, hm, sortilèges avancés liés au temps…? Ça te plaît ?
Tu n’osais pas vraiment demander la nature de ces deux éléments, pas tout de suite.
Même si tu désirais plus que tout au monde être enfin proche d’elle, la connaître.

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