“Parfait, comme d’habitude.” Jusqu’à la forme que prirent ses lèvres lorsqu’il murmura cette phrase, ajouterait-il.
Sans quitter son reflet du regard, Venzel se tourna encore un peu pour s’observer sous toutes les coutures. Un profond soupir lui échappa : comment la nature pouvait-elle être aussi injuste ?
On lui avait souvent répété que la perfection n’était pas de ce monde, mais chaque fois qu’il se regardait, il en doutait.

Sa dose quotidienne de confiance en lui-même chargée, le blond se dirigea vers sa chambre pour s’habiller. Aujourd’hui était un rare jour de repos pour lui, alors il comptait bien en profiter - preuve étant qu’il s’était levé tard et sortait tout juste de la douche. Oh il ne comptait pas rester seul chez lui à se tourner les pouces, loin de là : Venzel ne comptait pas se comporter comme un papy avant une bonne vingtaine d’années. Seulement il n’avait encore aucune idée de son planning.
Et s’il proposait une sortie à Arte ? Ils n’avaient pas eu le temps de se voir, récemment.

Venzel venait tout juste d’enfiler sa chemise quand son téléphone sonna. En déchiffrant le nom qui s’affichait, ses lèvres s’étirèrent : voilà qui tombait à pic pensa-t-il naïvement, comme le trahit son ton joyeux lorsqu’il décrocha. “Je pensais justement à toi !”
Mais l’attrapeur perdit bien vite le sourire en captant la fêlure dans la voix de la demoiselle - il n’y a bien que quand ses sœurs avaient des soucis qu’il retrouvait son sérieux aussi rapidement. En particulier Artemisia. “Arte ?” L’inquiétude montait en lui.
Venzel ne savait pas quel bruit un cœur faisait en se brisant, mais il savait quand sa cadette allait se briser à sa voix.

“Est-ce que tu es disponible ? S’il te plait, je peux venir te voir. C’est-” Le sanglot qui résonna à son oreille l'attrista. “C’est urgent.”
“Bien sûr que tu peux.” Il n’eut même pas besoin de réfléchir à sa réponse. En revanche, le jeune homme marqua une pause avant de continuer. “Tu veux des marshmallows dans ton chocolat chaud ?”
C’était sa manière à lui de lui remonter le moral - du moins, d’essayer.

L’appel terminé, Venzel resta immobile quelques secondes à fixer son téléphone. Il espérait qu’Arte serait prudente : elle allait sans doute transplaner malgré son état - correction, elle allait sans doute transplaner à cause de son état - or le danger n’était pas négligeable. Même des sorciers expérimentés pouvaient commettre une erreur s’ils essayaient de transplaner sans être en pleine forme.
Cependant on parlait de sa petite soeur ici, alors il décida de faire confiance au talent qui coulait dans leurs veines. Mieux valait qu’il se mette au travail plutôt que de s’inquiéter.

Quelques minutes plus tard, alors que deux grandes tasses de chocolat chaud recouvert de chantilly et de marshmallows flottaient jusqu’à la table du salon, le jeune homme alla ouvrir à sa cadette.
La première chose qu'il vit fut ce sillon solitaire sur sa joue - fêlure sur une peau de porcelaine -, éclat de la peine qui inondait ses yeux. Venzel leva la main en gardant le silence pour essuyer du pouce son visage, avant de lui adresser un grand sourire. "Ton chocolat chaud t'attend dans le salon."

Ils s'installèrent tous les deux sur le canapé, jambes pliées et mug fumant en main comme ils en avaient l'habitude. Le blond se décida alors à rentrer dans le vif du sujet. "Alors, pourquoi le mascara de ma petite soeur adorée coule-t-il ?" Ou plutôt : qui a fait ça ?
Oh il avait sa petite idée, Venzel. Artemisia n'était pas du genre à pleurer facilement - de ce côté ils se ressemblaient, trop fiers pour admettre la peine - mais souvent c'était pour la même raison.
Qui étrangement se retrouvait avec des ennuis à n'en plus finir peu après.
Cela dit le mannequin ne voulait pas non plus la brusquer ; si elle ne souhaitait pas parler, préférait se reposer sans rien dire ou sortir faire la fête pour oublier, il s'y plierait.
Dans tous les cas elle ne sera pas seule.

On pouvait la croire frivole, affolante, provocante. On pouvait croire beaucoup de choses, sur tout un chacun. Mais aujourd’hui les badauds pouvaient parler aussi haut et penser aussi fort qu’ils le voulaient ; rien ne les atteindrait.
Aujourd’hui Venzel ne laisserait personne d’autre blesser sa petite sœur.

Ils avaient tous les deux l’habitude des bruits qui couraient (parfois flatteurs, souvent avilissants). C’était la rançon de la renommée familiale : on les jugeait souvent trop vite avec des à priori forgés d’ignorance. Tout le monde pensait savoir (pensait les connaître) par des on-dit, des conclusions arbitraires tirées par des personnes s'estimant banales, insignifiantes (que leur propre vie n’intéressait pas, qui les enviait peut-être sans savoir ce qu’ils convoitaient réellement).

Venzel connaissait la réputation d’Artemisia. Elle-même en avait sans doute conscience, dans une certaine mesure. Mais elle était beaucoup plus que l'image qu'on avait de sa personne (ou celle qu'ils se donnaient) : c'était une femme intelligente, sensible, fragile ; un poil perfectionniste et prétentieuse mais c'était de famille, on leur avait très tôt donné le goût de l'excellence assumée.
C'était aussi une enfant un peu perdue, un peu effrayée. Forte seulement face à ces autres qui les regardaient en chuchotant, pour préserver sa fierté. Puisque tout le reste n'était que fragments.

Mais lorsqu'ils étaient tous les deux ils ne mentaient jamais. Ni à l'autre, ni à eux-mêmes. Et plusieurs fois comme aujourd'hui, Venzel avait offert son épaule à une Artemisia dévastée (celle qu'il était seul à connaitre).
Il ne comprenait pas : aussi superficielle pouvait-on la croire, comment ne pas sentir la pureté de ses émotions ? Comment pouvait-on rabaisser un amour sincère ? Ou bien est-ce que justement cela faisait peur aux jeunes hommes qui la fréquentaient ? Dans ce cas c'était eux les personnes vides d'intérêt, incapables de voir le plus important.

Mais c'est toujours sa cadette qui finissait blessée et perdait toute confiance en elle. Il le digérait mal.
"Ven, pourquoi ça ne marche jamais ? Je fais tout ce qu’il faut pourtant ! J’ai appris de mes erreurs tu sais…"
Le jeune homme passa un bras derrière ses épaules pour lui frictionner doucement le bras.
"…Je ne suis pas assez bien ?"
Ses mouvements ralentirent légèrement. Venzel sentait sa poitrine se gonfler de colère ; il prit le temps d'inspirer profondément puis d'expirer doucement. Artemisia n'avait pas besoin de sa colère - il la réservait à l'imprudent qui lui avait brisé le cœur.

"C'est pas plutôt le contraire ? L'attrapeur regarda la plus jeune en plongée avec un sourire en coin. "Tu fais de ton mieux Arte, mais tout le monde ne peut pas le voir. Ils sont trop bêtes. Et tu as tellement de qualités que ça leur fait peur, ils se demandent comment ils pourront tenir la chandelle. Sans oublier que tu es adorable, suffit de te voir avec cette moustache pour le croire." Un petit rire fait vibrer son torse. Oui, sa puînée était décidément trop mignonne. Comment se retenir de la taquiner gentiment ? Et puis, ça pouvait aider à lui changer les idées.

Venzel marqua une pause chocolat ; il savoura sa gorgée comme l'amateur de sucre qu'il était. "Il y a une chose que tu dois encore apprendre : ne pleure pas pour des gamins qui n'ont pas su t'apprécier à ta juste valeur. Ils n'en valent pas la peine." Elle valait tellement mieux.
Combien de fois lui avait-il donné ce conseil ? Mais c'était son rôle, le blond le ferait encore mille fois si ça pouvait lui faire du bien.
Il laissa deux secondes s'écouler, avant de raffermir son étreinte autour de la jeune femme en lui pokant la joue avec son index. "Je comprends pas que tu aies pas meilleur goût en matière d'hommes, tu as un grand frère parfait juste ici ! Certes personne ne me vaudrait, mais ça devrait te donner de sacrés standards."
Ce n'était absolument pas dit comme un reproche. Venzel avait beaucoup de confiance en lui mais n'oserait pas lancer cela sérieusement alors qu'Artemisia souffrait de sa rupture toute fraîche. D'ailleurs il n'y avait rien de sérieux dans sa voix.
Il voulait adoucir ses mœurs, à sa manière.